Adolphe Orain (1834-1918)
Julie Denoual racontait, autrefois, aux veillées du village de la Porte-du-Parc, dans la commune des Iffs, le conte que voici :
Il y avait au temps jadis, disait-elle, une charmante petite fille qui avait eu le malheur de perdre sa mère. Son père s’était remarié à une veuve qui avait, elle aussi, une enfant qui était aussi laide que sa belle-fille était jolie.
Cette dernière devint promptement une pauvre martyre. La marâtre ne lui donnait pas à manger son content et l’accablait de travail. Chaque matin, elle l’envoyait garder les vaches en lui disant :
« Si tu ne reviens pas, ce soir, avec sept fuseaux de fil et sept fagots de bûchettes, gare à toi. »
Et, en effet, lorsque la fillette n’arrivait pas, malgré toute la diligence qu’elle apportait à son travail, à remplir la tâche qui lui avait été commandée, elle n’avait, pour souper, que quelques croûtes de pain noir, dont les chiens n’auraient pas voulu, et il lui fallait coucher dans un cachot rempli de rats, ou la malheureuse mourait de peur.
Chaque jour la tâche augmentait, et les punitions devenaient plus sévères. L’enfant ne faisait que pleurer.
Un jour qu’elle s’était penchée sur la margelle d’un puits, son fuseau lui échappa et tomba au fond.
Grande fut sa peine en songeant qu’elle ne pouvait plus filer, et qu’elle allait être battue, le soir, en rentrant. Elle disait : « Non, jamais je n’oserai retourner à la maison ; il vaudrait mieux, pour moi, que je fusse morte. »
Ces contes de l'Ille-et-Vilaine, ce département de Haute-Bretagne aux chemins creux et aux pommiers penchés, Adolphe Orain les a recueillis comme on ramasse les pommes sous le pommier : avec soin, avec respect, avec la malice des anciens. Sorcières, dragons et lutins hantent les chemins, et chaque histoire porte l'odeur de la terre, du feu, et du parler gallo, cette vieille langue d'oïl qui chante encore dans les veillées.