Adolphe Orain (1834-1918)
"Une bonne femme, veuve, avait trois fils pour lesquels elle rêvait tous les bonheurs imaginables. Aussi était-elle constamment à la piste des événements qui auraient pu les rendre heureux.
Un jour, elle apprit que le roi avait fait publier, à son de trompe, qu’il donnerait sa fille en mariage au jeune homme qui lui apporterait les plus belles pêches.
Justement la veuve possédait, dans son courtil, un pêcher qui, cette année-là, avait des fruits superbes.
Elle dit à son fils aîné :
– Il faut remplir un panier de pêches et les porter au roi.
– Sans compter, répondit le gas, qui était un fieffé paresseux, j’épouserions ben la fille du roi, pour n’avoir ren à faire.
Il cueillit des pêches et se dirigea vers la demeure royale.
Chemin faisant, il fit la rencontre d’une vieille mendiante qui lui demanda :
– Que portes-tu donc si précieusement dans ton panier ?
Le gas, peu poli, répondit :
– Des œufs, ma bonne femme.
– Prends garde qu’ils soient éclos avant d’être rendus à destination.
Lorsqu’il arriva dans la cour du palais, le roi, qui s’y promenait, lui dit :
– Qu’as-tu là ? mon garçon.
– Des pêches, Sire.
– Montrez-les moi.
Le jeune gas ouvrit le panier et aussitôt toute une couvée de petits poussins se sauva dans la cour."
Ces contes du pays Gallo, cette Haute-Bretagne aux chemins creux et aux pommiers penchés, Adolphe Orain les a recueillis comme on ramasse les pommes sous le pommier : avec soin, avec respect, avec la malice des anciens. Sorcières, dragons et lutins hantent les chemins, et chaque histoire porte l'odeur de la terre, du feu, et du parler gallo, cette vieille langue d'oïl qui chante encore dans les veillées.