Le jour où le mirage de l’exotisme a été à la portée des touristes, le voyage a changé de sens, tout comme, grâce à la télévision, le sensationnel est devenu quotidien. Faut-il pour cela s’arrêter de parcourir le monde ? Jacques et François Gall ont remplacé la poursuite des mirages et la quête du sensationnel par la recherche de l’homme. De celui qui crée l’événement, qui l’incarne, qui en est l’auteur et l’acteur. C’est dans cet esprit qu’ils ont réalisé, pour la télévision, de nombreuses émissions comme la série « Quatre soleils bridés », qui a fait paraître plus proche l’Extrême-Orient... Qu’ils ont écrit leurs reportages dans France-Soir et publié des livres : « Les invités du tour du monde », « Marie, le ciel ouvert », « Les 9 seigneurs d’Extrême-Orient ». Avec La route carnivore, c’est moins la percée de la Transamazonienne qui les a fascinés, que l’extraordinaire personnalité des hommes qui l’ont entreprise, ces hommes qui nous apportent, dans ce siècle désabusé, le souffle des grands aventuriers d’hier. Aventure ! Le mot roule longuement dans notre cœur. Il résonne et son écho n’en finit pas de mourir. Qui n’a voulu compenser l’humiliation de la vie des villes, échapper au conformisme, choisir son destin et l’assumer ? Mais ce monde est clos. Les contingences nous emprisonnent. Qui nous ouvrira les portes de la liberté totale ? D’autant que les terres inconnues ont rejoint la légende. L’Amazonie fait exception. Elle est vierge, dangereuse comme un rêve qui laisserait espérer tous les possibles. Elle aussi, cependant, en est à son dernier quart d’heure. La route transamazonienne, qui va la transpercer d’est en ouest sur 5 417 kilomètres, la condamne, dans le temps, à la banalité. Demain, des villes s’élèveront qui poseront mille problèmes. Et créeront mille besoins. Jacques et François Gall ont vécu à la frontière de ce moment incertain. Cet « espace-temps », cet instant épique, privilégié, a fait naître de vrais aventuriers. Des hommes et des femmes qui luttent, aiment ou s’entre-déchirent. Au premier plan, Marco Aurelio Angelim. Il est le « patron » de la route, une espèce de surhomme que les auteurs sont allés interviewer. La jungle. La route. Un surhomme : voilà qui aurait déjà suffi à faire un livre passionnant. Mais des maléfices se font jour, et le décor bascule. C’est maintenant l’aventure, la grande, dans une jungle peuplée d’Indiens criards aux réflexes incompréhensibles, hommes rouges qui n’ont jamais vu de Blancs. Entre le souhaitable et l’impossible, l’essentiel et l’éphémère, on peut laisser sa peau. Son âme aussi. Et si on en revient, on ne sera plus jamais le même.